vendredi 25 janvier 2008

Pourquoi un nouvel orgue à Saint-Thibaut ?

Bonjour ! Nous voici au Pecq, entre Seine et forêts. Entre les villes royales, marquées du sceau de Louis XIV, Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi. Et si vous êtes là, c’est que vous aimez les orgues ou du moins la musique d’orgue. Peut-être tout simplement parce que vous vous intéressez à la vie culturelle de votre région, ou à la mécanique…

Bref, pourquoi, diable, construire un orgue neuf dans ce patelin ? N’y a-t-il pas des instruments dignes d’intérêt dans le coin ? À Saint-Germain, ne cherchons pas loin, Marie-Claire Alain, la grande dame de l’orgue, ne doit pas jouer sur une casserole… Et à Marly, l’église Saint-Vigor, celle-là même que fit construire Louis XIV, qui venait ici en villégiature, ne bénéficie-t-elle pas d’un instrument restauré il y a une quinzaine d’années ?

Certes, certes, revenons un peu en arrière, même si ce qui m’intéresse au premier chef est le nouvel orgue qui est en train de naître.

Tout d’abord, quand j’ai inventé mon hydraule, ce n’était pas à des fins religieuses. Ne parlons pas des chrétiens, qui n’arriveront que quelque 300 ans plus tard. Non, je cherchais à réaliser un instrument propre à remplir un théâtre, pour accompagner les représentations et animer les festivités. Et c’est bien comme cela qu’on l’entendit pendant plus de 600 ans. Les Romains s’en servaient même au cirque pour accompagner les spectacles, un peu comme on le fera au XXe siècle pour sonoriser les films muets. Plus tard, quand l’empire devint byzantin, l’orgue se fit instrument de musique de cour. Il était de toutes les fêtes impériales et on construisit un nombre impressionnant d’orgues pour les riches villas.

Les barbares sont passés par là et ont tout cassé. Ou presque. Et comme l’orgue était par excellence le serviteur, que dis-je ? l’animateur des fêtes païennes, l’Église ne voulut surtout pas en entendre parler. Les chrétiens, héritiers des chants de la synagogue, glorifiaient Dieu a cappella. Sans accompagnement. Fi des mécaniques! Et cela a bien duré huit siècles.
Charlemagne, qui s’était déclaré gardien de la chrétienté, s’est intéressé à l’instrument qu’en 757 Constantin Copronyme (empereur à Byzance) avait offert à Pépin le Bref, son père. Il en commanda un pareil pour sa cour à Aix-la-Chapelle. C’est en fait Louis le Débonnaire qui le réceptionna en 822. Au neuvième siècle de l’ère chrétienne. Alors, pour faire rapide, l’ordo romanus, qui faisait la promotion de la liturgie en chant grégorien, assit son autorité (celle du pape) dans l’empire carolingien. Et les moines, qui en étaient les propagateurs et les plus fidèles interprètes, vinrent à introduire l’orgue dans leurs monastères. Sans doute dans un but pédagogique : l’orgue, permettant de « tenir » la note jouait le rôle de « teneur » du mode (l’échelle grégorienne choisie), le ténor. Autrement dit, il donnait le La.

Vous imaginez facilement que cette magnifique invention (merci pour moi) ne laissa pas les moines indifférents et que l’orgue, une fois introduit dans le sanctuaire chrétien, allait y trouver matière à s’exprimer. D’une part en accompagnant les chantres, d’autre part en tant qu’instrument soliste. Et voilà comment la machine de foire est devenue l’Instrument — avec un grand i — de musique sacrée de la chrétienté occidentale. Le « pape des instruments », dixit Franz Liszt.
Et ça fait dix siècles que ça dure !

En France, il n’y a pour ainsi dire pas d’orgues en dehors des églises ou des temples. Et cela nous ramène à l’église Saint-Thibaut, construite au début des années soixante et qui n’avait pas d’orgue. La liturgie sans orgue ? Les chrétiens bâtisseurs s’arrangèrent pour que l’orgue de chœur de l’église Saint-Vigor soit confié au nouveau sanctuaire Saint-Thibaut.

Le petit instrument de six jeux est signé Merklin, mais il est dépourvu de buffet. Il ne comporte qu’un seul clavier manuel et une tirasse permanente au pédalier. Heureusement, il est léger à toucher et, allant à l’essentiel pour la registration, ses timbres sont agréables et l’ensemble très équilibré. Il comprend Montre 8’, Bourdon 8’, Prestant 4’, Doublette 2’, Plein Jeu II et Trompette 8’. Le problème majeur de ce serviteur dévoué (depuis 1965) est d’être placé dans une chapelle latérale en angle aigu sous une flèche qui s’envole à 35 m. Et comme il ne bénéficie pas de l’effet de porte-voix d’un buffet, il paraît bien chétif dans ce magnifique vaisseau sans pilier. Non, mais regardez-moi ça, le pauvre…


Vues du petit orgue Merklin dans la chapelle gauche de l'abside.

Les bâtisseurs (et leurs continuateurs) ont dit: « Poursuivons la construction de notre église. Dotons-la d’un orgue digne de son architecture. » Et hop ! ils constituent une association des Amis des orgues (présent et à venir) en 1995 et s’engagent dans un projet fou : faire construire un orgue neuf dans un édifice privé en l'an 2000 après Jésus-Christ. Mais, bon, ils sont fous… Je passe sur toute une liste d’interrogations, de démarches, de vicissitudes et autres embûches. En 1999, ils ont ficelé le projet suivant, un orgue reprenant l’esthétique sonore des Silbermann (André et Gottfried) tout en innovant.

Petit aparté sur le choix de l’esthétique sonore
Dans la région des Yvelines et de l’ouest de l’Ile-de-France, il existe un grand nombre d’orgues romantiques Cavaillé-Coll ou d’inspiration (XIXe siècle), il y a aussi pas mal d’instruments néo-classiques (deuxième moitié du XXe siècle). On connaît le merveilleux Clicquot de la chapelle du château de Versailles et celui de Houdan, mais d’orgue correspondant à l’esthétique de l’âge d’or du XVIIIe siècle en Saxe, point. Et pourtant, qui ne vénère pas Jean-Sébastien Bach ?


Voici le projet qui servit à convaincre les instances publiques à soutenir et à financer pour partie la réalisation d’un orgue neuf dans l’église Saint-Thibaut.

En vert, les jeux à bouche ; en rouge, les mutations simples ; en bleu, les mutations composées ; en orangé, les jeux d'anche.

Cet instrument, de taille moyenne, comporte 23 jeux répartis sur 3 claviers manuels et un pédalier. Il devait également posséder tous les échanges possibles entre claviers et avec le pédalier. Le but avoué était, dans le respect de l'esthétique sonore des orgues alsaciens et saxons des Silbermann, d'offrir un large éventail de combinaisons. Le Positif placé dans une boîte expressive, loin d'être une incongruité par rapport au XVIIIe siècle (rappelons, en effet, que c'est Gottfried Silbermann qui l'a introduite dans la facture allemande), ouvrait des perspectives d'interprétation de la musique du XIXe siècle, même si l'esthétique générale n'était nullement romantique.

Ce projet avait l'ambition de répondre à la fois aux besoins de la musique liturgique, accompagnement d'une assemblée ou d'un chœur mais aussi jeu soliste et improvisation, et au souci pédagogique d'une classe d'orgue à venir. L'interprétation du grand répertoire, bien entendu, n'était pas oubliée, puisque le projet artistique et culturel accompagnant cet orgue met l'accent sur des concerts de chœurs et chorales, ainsi que sur la promotion des jeunes talents.

Beaucoup d'exigence, donc, dans la démarche de l'AOST. Beaucoup de sérieux également. Ce projet reçu l'aval de personnalités du monde de l'orgue, telles que Marie-Claire Alain, Susan Landale, François-Henri Houbard ou encore Jean-Pierre Millioud.

Mais ce n'est pas lui qui verra le jour…

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