jeudi 22 mai 2008

Réception, bénédiction, inauguration


Et le grand jour arriva. C'était un dimanche. Ce fut le 4 mai 2008.

Je témoigne, mais je suis peut-être l'un des moins bien placés pour le faire. Plus de 1500 personnes ont participé en tant qu'auditeurs à cette journée festive et forte en émotions. En effet, comme le dit l'adage, "on ne peut être à la fois juge et partie". Or Ktésibios a mis son grain de sel dans la conception de l'instrument du Pecq, dans sa mise en place, dans le programme du concert inaugural et jusque dans la cérémonie de bénédiction. Et, en plus, officiant à la console, il n'était pas à la meilleure place d'écoute, même si nombreux furent les envieux. Et mon petit doigt me dit que la liste de ceux-là n'a pas fini de s'allonger !

Vendredi 2 mai : l'orgue est réceptionné

Alors que le facteur d'orgues a terminé le montage, l'harmonisation et l'accord de l'instrument, il livre le fruit de son travail au client pour le transfert de propriété. C'est le maître d'œuvre, Eric Brottier, qui a la main pour accepter ou refuser le chantier, avec ou sans réserve. Bien évidemment, les principaux acteurs de cette construction étaient présents, de Mme Marie-Claire Alain, marraine de l'orgue, à Louis Rosset, président des Amis des orgues de Saint-Thibaut, en comptant Susan Landale, organiste internationale, Philippe Vincent, architecte, le père Jean-Pierre Alloucherie, de la commission épiscopale Arts et liturgie, ou le futur titulaire.
Eric Brottier a manifestement pris beaucoup de plaisir à jouer cet orgue, longuement. Et il a accepté "le chantier", avec une réserve officieuse sur... "la serrure des volets de la console, inesthétique".
Cependant, on a pu constater que le "tempérament" de cet instrument était très trempé. On en reparlera... Magnifique réalisation, tant visuelle que mécanique et musicale !

Dimanche 4 mai 2008
C'est donc à peine deux jours plus tard qu'a eu lieu l'inauguration officielle de l'orgue Kern de Saint-Thibaut. Cela ne laissa pas beaucoup de temps aux organistes pour venir répéter et se mettre en doigts ou en pieds ce nouvel instrument. Or parmi eux, il en est un qui mène double vie et, qui plus est, devait non seulement ouvrir le concert, mais surtout interpréter lors de la cérémonie de bénédiction de courtes improvisations et trois pièces de sa composition en "première mondiale"… En dehors des cantiques habituels de la messe, ce n'est pas moins de 25 morceaux qu'il a interprétés. On mesure le défi…


Des mains pour chanter, celles du titulaire.

D'autant que dans cette aventure une chorale paroissiale d'amateurs méritants était engagée. Elle eut la lourde tâche de créer les œuvres inédites, d'ailleurs de ce fait limitées à trois sur les cinq que comporte l'ordinaire (Credo et Sanctus ayant été laissés de côté… Sans doute pour une prochaine occasion). Malgré la nouveauté de l'écriture donnant à l'orgue le premier rôle, cette musique liturgique fut convaincante (je ne parle pas ici de "beauté", qui est une notion très subjective), pour deux raisons au moins : les paroles de la messe y étaient particulièrement intelligibles — ce qui est rare dans les interventions de chœur —, et parce que les choristes avaient dû bûcher pour se mettre rythmes et modulations dans la voix. Or cet effort se révéla particulièrement salutaire. Quant au dessein du compositeur, je vous invite à lire le commentaire préliminaire qu'il fait de sa Messe pour une bénédiction.


L'église Saint-Thibaut accueille 800 personnes… assises. Debout, un peu plus !

4 mai 2008

Bénédiction des nouvelles orgues

Le nouvel orgue de St Thibaut premier orgue du XXIe siècle dans les Yvelines, est en cours de finition.
Mgr Eric Aumonier présidera la messe solennelle au cours de laquelle le nouvel orgue sera béni.

Un concert inaugural de gala sera donné l’après-midi, avec la participation de :
- Marie-Claire ALAIN, organiste titulaire de l’orgue de l’église St-Germain de St-Germain-en-Laye,
- Susan LANDALE, organiste titulaire de l’orgue de St-Louis des Invalides,
- Eric BROTTIER, organiste conseil pour le ministère de la Culture,
- Et, en ouverture, Patrice LAUNAY, concepteur de l’orgue et son futur organiste titulaire.



La bénédiction et la messe inaugurale
Le principe de cette cérémonie est de consacrer l'orgue à son usage liturgique, de confirmer au milieu du peuple son rôle de "porteur de l'Esprit". C'est pourquoi, l'assemblée se regroupe d'abord sans intervention de l'instrument, chantant ainsi a cappella. Puis l'évêque (en grec episcopos, mot à mot le "superviseur"), après avoir béni et aspergé l'orgue, l'interpelle huit fois : "Éveille-toi, orgue, instrument sacré. Entonne la louange de Dieu, notre créateur et notre père." Et ainsi de suite : "Célèbre Jésus", "Chante l'Esprit-Saint", "Élève nos chants et nos prières vers Marie", "Fais entrer l'assemblée des fidèles dans l'action de grâce du Christ", "Apporte le réconfort de la foi à ceux qui sont dans la peine", "Soutiens la prière des chrétiens" et "Proclame gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit". À chacun de ces appels l'orgue répond par une pièce improvisée, évocatrice, qui à la fois fait découvrir les ressources de ses sonorités.


Mgr Eric Aumonier remonte l'allée centrale.

L'orgue entonna ensuite le Kyrie eleison de Patrice Launay, chanté par la chorale. Suivit le Gloria du même compositeur, le troisième volet de cette Messe fut l'Agnus Dei. Mais auparavant on put entendre pendant l'offertoire Michel Klaeylé, que l'on retrouva dans des pièces de Bach, après la sortie (Concerto de Haendel), jouée par le titulaire.

Avant de dire un mot du concert de l'après-midi, laissons au compositeur de la Messe pour une bénédiction de soin d'expliquer son dessein.

« Les quatre pièces [trois en définitive] qui vont rythmer la bénédiction du nouvel orgue de Saint-Thibaut sont complétés par un Credo. Elles forment ainsi l'ordinaire d'une messe selon le canon romain.
L'ensemble est à dessein concis et ne prétend pas déployer les fastes d'une grand-messe solennelle. Cependant, le traitement musical et temporel de chaque composition respecte l'esprit du texte et du moment liturgiques, principe baroque de la Contre-Réforme.
Le traitement mélodique est syllabique, comme le veut l'usage le plus répandu du chant des chrétiens. Volontairement, il n'est pas lyrique. La forme est donc ramassée, mais non monolithique. L'alternance des interventions de l'orgue et des variations des effectifs du chœur puis de l'assemblée modèlent des pleins et des déliés. Naît ainsi une respiration qui nourrit l'inspiration de la ligne mélodique. Et l'essence de l'orgue n'est-elle pas celle du chant, de la respiration, le souffle, l'esprit ?

Des invariants compositionnels renforcent l'esprit unitaire de cette Messe pour une bénédiction.

1° En premier lieu, l'orgue — puisqu'il est au centre de la cérémonie — est traité comme un soliste et non comme un simple instrument accompagnateur. Sa partie fonctionne comme une pièce instrumentale à part entière.

2° Ensuite, le traitement structurel de chaque chant est trinitaire et joue sur l'alternance entre sections regroupant le chœur et l'assemblée, sections tenues par un ou deux pupitres (voix d'hommes seules, altos et barytons, sopranos et ténors) et sections dévolues aux quatre voix du chœur. Ce jeu alternatif a une double valeur, symbolique et musicale. Chaque section figure la participation d'un groupe constitutif de l'Église. Quand l'assemblée s'allie au chœur, c'est le peuple tout entier qui s'exprime. Les quatre voix du chœur sont l'écho de l'Église constituée. Les pupitres masculins prennent le rôle du clergé, de l'officiant.

3° Le troisième axe de ces compositions est constitué par la juxtaposition systématique du texte originel grec ou latin et de sa version française. Et ce n'est pas un hasard si les paroles canoniques sont confiées aux pupitres “quasi solistes" figurant le clergé.

4° Orgue d'esthétique baroque oblige, le compositeur s'est plu à des "clins d'œil" musicaux évoquant les XVIIe et XVIIIe siècles. Leur but ne vise pas l'anecdote, mais à éveiller la mémoire culturelle commune.
Église moderne et orgue contemporain obligent, le traitement, notamment harmonique, prend de la distance avec le Grand Siècle, même s'il garde un principe fondamental de l'esprit baroque : la musique suit le texte. Il ne faut donc pas y chercher une musique d'ambiance ou de pathos, ni une musique imitative, mais un chant spirituel, habité. »



Équilibre et concentration, l'organiste répète ses propres compositions.

« Évocation pièce par pièce


KyrieMaître, sois compatissant
Cette démarche pénitentielle est conçue comme un rituel d'accueil. Humblement, le peuple invité à partager la table du Maître demande à se faire accepter. Ici se forme le rassemblement, l'église (ecclesia), autour de la Table. Le chant est présenté de manière trois fois trinitaire : au peuple tout entier, qui chante en langue vernaculaire (Maître, sois compatissant), répond la démarche rituelle du clergé, en grec (Kyrie elesison). Cette même inclinaison fonde l'Église, que figure le chœur, reprenant Maître, sois compatissant.

GloriaGloire à Dieu et Paix sur la Terre
Nature et structure sont ici très différentes de celles de la prière d'entrée. À l'hymne à la gloire de Dieu proprement dite s'adjoignent quatre moments : une aspiration à la paix sur terre, une phase rituelle d'affirmation de la foi, un rappel de la démarche pénitentielle, et une doxologie trinitaire. Le prélude par lequel l'orgue introduit cette hymne dans un style concertant est repris in extenso en conclusion comme soutien de l'Amen final. Dans cette pièce, en définitive assez complexe, se côtoient un traitement symbolique typiquement baroque et des modulations harmoniques modernes.

SanctusSaint, saint, saint
La symbolique baroque est encore plus patente dans cette acclamation eucharistique. Les deux parties, Cantique d'Isaïe et Benedictus, sont précédées par un prélude à l'orgue en motifs arpégés ascendants. C'est le regard d'Isaïe qui s'élève vers le ciel où chantent les séraphins. Chacune des sections conclut par le Hosanna, ryhtmé et clamé haut et fort. À la tonalité de Fa majeur du Cantique d'Isaïe répond celle de La mineur très modulée du Benedictus. Sur la reprise des arpèges en contrepoint de l'orgue, le Sanctus est chanté en latin par tous, car l'eucharistie rassemble tout le monde et n'oublie personne.

Agnus DeiAgneau divin
Les paroles de ce chant du partage sont très belles, mais complexes. Le Christ que l'on a fêté et acclamé, l'hôte qui nous accueille, le maître de la maison des fidèles se fait offrande, victime sacrificielle et rédempteur. La ligne mélodique très travaillée, toute en douceur, comme l'agneau, est aussi perturbée par le conflit entre notre essence pécheresse et notre aspiration à la sanctification. L'orgue en clausule de chacune des trois sections appose une note de sérénité. Y fait suite à chaque fois le chant en latin, pris à la relative mineure, c'est-à-dire en Ré mineur, dans un rythme plus allant et sur une mélodie plus assurée. Il est confié aux seuls ténors dans le premier mouvement. Puis les barytons interviennent en contrepoint. La troisième fois, toutes les voix viennent participer à cette communion dans la paix du Christ. Le chant du partage eucharistique termine sur les paroles de paix. A cappella et en latin, puis avec l'orgue en bourdon. »

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